Les années se suivent et se ressemblent en Italie. Pour la deuxième fois consécutive, aucun club italien ne sera présent en 1/4 de finale de Ligue des Champions. Une situation désastreuse, mais loin d’être anodine pour les clubs italiens qui se montrent très nettement inférieurs à leurs voisins européens à tous les niveaux. Si la Serie A retrouve de sa superbe ces dernières saisons, c’est encore insuffisant pour revoir le Calcio sur le sommet de l’Europe.
Échecs sur échecs
En moins de deux semaines, le football italien a vécu deux drames avec l’élimination de la Nazionale en barrage de Coupe du Monde face à la Macédoine du Nord et le nouvel échec de la Juve en Champions. Les Turinois, éliminés lourdement en 1/8e de finale face à Villareal (1-1, 0-3), mettent le doigt sur le désastre des clubs italiens sur la scène européenne depuis dix ans.
Allianz Stadium de Turin, mercredi 16 mars 2022, 22h55, le stade se vide sous les sifflets des tifosi turinois. La Juventus Turin vient de lourdement s’incliner face à Villarreal (3-0) et est donc éliminée de la Ligue des Champions. Face à une équipe espagnole point d’être supérieure mais qui s’est montrée déterminée, la Vieille Dame s’est une nouvelle fois écroulée. Un fiasco pour une équipe qui semble être sur le déclin depuis quelques saisons. Si depuis 2018 et l’arrivée de Cristiano Ronaldo, les dirigeants Bianconeri ont investi près de 550 millions d’euros sur le marché des transferts, le retour sur investissement sonne creux.
Une semaine auparavant, c’était le tour de l’Inter Milan de voir son aventure européenne s’arrêter elle aussi, en 1/8e de finale de Ligue des Champions. Néanmoins, difficile d’en vouloir aux hommes de Simone Inzaghi qui sont tombés sur plus fort. Opposée à Liverpool, l’Inter Milan a réalisé deux solides prestations en s’imposant même lors du match retour à Anfield (1-0). Mais cela n’a pas suffi et l’écart est encore important entre l’écurie anglaise et italienne. Le cousin milanais, lui aussi, n’a pas à nourrir de grands regrets. Pour son retour en Ligue des Champions six ans après, l’AC Milan a vu son aventure s’arrêter dès la phase de poule. Difficile de blâmer les Rossoneri qui sont tombés dans un groupe très relevé avec Liverpool, l’Atlético de Madrid et le FC Porto. Face à des habitués dans la compétition, le manque d’expérience s’est clairement fait ressentir. Le Milan (hormis le match aller face à Porto) s’est donné à 100 %, mais paye son manque d’expérience et d’altruisme.
Enfin, le dernier représentant italien en Ligue des Champions cette saison était l’Atalanta Bergame. Les hommes de Gasperini ne sont pas parvenus à se qualifier pour les 1/8e de finale mais ont arraché une troisième place, synonyme de Ligue Europa. Une compétition dans laquelle la Dea est toujours en lice et peut nourrir quelques espoirs. À la différence de certains de ses homologues transalpins, elle se montre ambitieuse dans cette Ligue Europa. Les Bergamasques sont en 1/4 de finale où ils seront opposés à Leipzig.
Dans cette C3, l’Atalanta reste le dernier représentant italien. En 1/16e de finale, la Lazio Rome s’est faite sortir par Porto, tout comme le Napoli éliminé très logiquement par le FC Barcelone. Après un match nul encourageant obtenu au match aller sur la pelouse catalane, les attentes étaient nombreuses pour la bande à Koulibaly. Dans un San Paolo des grands soirs, les Napolitains ont craqué face à un Barca de gala. Score finale, 4-2 pour les Catalans et un nouvel échec italien sur la scène européenne. À noter que la Roma fait son bout de chemin en Conférence League. Dans la compétition européenne, la petite sœur de la C1 et de la C3, les Gialorossi sont en 1/4 de finale. La Roma et l’Atalanta Bergame sont donc les deux seuls représentants italiens toujours en course en Europe.
En 2010, l’Inter Milan de José Mourinho remportait la Coupe aux grandes oreilles. Et depuis ce sacre nerazzurro, le football italien n’a plus remporté un seul trophée sur la scène continentale. Seulement deux finales de Ligue des Champions (la Juve en 2015 et 2017), une demi-finale de Ligue des Champions (la Roma en 2018), une finale de Ligue Europa (l’Inter Milan en 2020) et quatre demi-finales de Ligue Europa (Juve en 2014, Fiorentina et Napoli en 2015, la Roma en 2021). Depuis la saison 2018-2019, les normes UEFA ont changé et ont permis aux championnats majeurs du continent d’avoir encore plus de représentants en Ligue des Champions et en Ligue Europa. Cela fait donc trois ans que l’Italie envoie systématiquement quatre clubs en C1 pour au final, n’avoir aucun club capable d’atteindre le dernier carré. Cette saison, les écuries transalpines ont une nouvelle fois montré leur fragilité dans les matches à intensité. Certes toujours 3e à l’indice UEFA, l’Italie ne peut pas se contenter des résultats obtenus.
Les raisons d’un échec
On l’a bien compris, le football italien enchaîne les échecs sur la scène européenne et montre son infériorité face aux voisins anglais et espagnols. Porte-drapeau du football italien en Europe, la Juventus Turin piétine depuis cinq ans et se montre incapable d’élever son niveau lors des grandes soirées européennes. Pire encore, le club du Piémont sombre dans le pragmatisme et le manque d’ambitions. Depuis quatre saisons, les Bianconeri se font sauvagement éliminer par des équipes qui sont, sur le papier, plus faibles : l’Ajax Amsterdam (2019), l’Olympique Lyonnais (2020), Porto (2021) et Villarreal (2022). Et sur chacune de ces éliminations, la Vieille Dame s’est montrée inférieure au niveau de la détermination et de l’intensité. Dès que les Bianconeri se retrouvent face à un adversaire entreprenant et qui impose un gros rythme, ils s’écroulent.
Lors du match retour à la maison face à Villarreal, la bande à Rabiot avait une possession nette (59%) mais jouait dans un fauteuil, sans prendre de risques. Comme si la qualification était actée. Un pragmatisme turinois qui ne fonctionne pas et Villarreal a parfaitement compris comment sanctionner cette insuffisance turinoise. Les hommes d’Unai Emery se sont montrés patients, défendant en bloc bas et ont laissé la Vieille Dame multiplier les séquences de possession avec leurs passes latérales. Villarreal est resté solide derrière et a attaqué au meilleur des moments. En l’espace de quinze minutes, le Sous Marin Jaune va inscrire trois buts et éliminer la Vieille Dame. Les années passent et se ressemblent, la Juve ne fait plus peur en Europe, et même dans son propre pays.
“Le rythme de nos matchs en Serie A est ridicule. Essayez de regarder un match anglais, espagnol ou allemand. Les joueurs vont beaucoup plus vite, ils s’habituent dans leur pays au niveau européen. Les arbitres sifflent trop ici (…) comment on peut jouer comme ça”. Tels sont les propos d’Arrigo Sacchi à La Gazetta dello Sport. L’emblématique tacticien italien illustre parfaitement le problème des clubs italiens. Le meilleur exemple, cette saison, est le Napoli qui a pris une leçon de football sur le match retour face au FC Barcelone. Dès qu’il y a de l’intensité en face, les écuries italiennes se retrouvent systématiquement en difficulté. C’est ce nous confirme Valentin Pauluzzi, journaliste sportif spécialiste du football italien chez L’Équipe et France Football: “Après dix ans de régression, les clubs Italiens ont en quelque sorte un sentiment d’infériorité. Ils n’ont pas la bonne approche pour ces matches de haut niveau, ils rentrent sur la pelouse la boule au ventre”.

Au-delà de l’intensité, l’aspect technique est aussi à ne pas négliger. Si la Serie A se remontre séduisante depuis quelques années, l’écart reste encore immense avec les autres écuries européennes. Exemple avec l’AC Milan cette saison. Pour son retour en Ligue des Champions, les hommes de Stefano Pioli ont été largués au niveau technique comme en témoignent les confrontations face au FC Porto. Deux matches durant lesquels le Milan a livré deux bonnes prestations au niveau de l’intensité, mais qui a payé son infériorité au niveau technique. Une infériorité qui s’explique par les qualités intrinsèques des effectifs des clubs italiens.
Si de nombreuses individualités rayonnent en Serie A, la marche est haute pour confirmer en Ligue des Champions “Dans les autres équipes européennes, il y a tout simplement des meilleurs joueurs de plus grandes qualités techniques (…) La Serie A est devenue un championnat de passage pour les joueurs en devenir et qui souhaitent ensuite partir pour le championnat espagnol ou anglais. Les clubs italiens ont des grands noms, des champions, mais des champions vieillissants et en fin de carrière” argumente Valentin Pauluzzi.
Certes les clubs italiens sont très souvent inférieurs à leurs voisins européens, il existe aussi une certaine négligence et un manque d’envie, en particulier en Ligue Europa. Exemple avec la Lazio Rome qui a pris part à cette compétition à quatre reprises en cinq ans. Les Laziali n’ont pas été capables de faire mieux qu’un quart de finale en 2018. Une compétition dans laquelle les Romains (et d’autres clubs italiens) opèrent à un turnover, jouent la rencontre à 50% et se font tout simplement surprendre par des équipes qui se montrent plus déterminées.
La jeunesse pour relancer la machine
Il y a deux semaines, la Gazetta dello Sport expliquait que le football italien est endetté de près de trois milliards d’euros. Si la crise sanitaire en est pour beaucoup, le marasme sur le plan européen n’arrange clairement pas la situation. Pour Valentin Pauluzzi, “le football italien n’est pas au bord de la faillite, il est en quelque sorte sous perfusion. Il trouvera toujours un coup de main de la part de l’État, car c’est une économie trop importante pour le pays”. Une situation économique fragile dont les dirigeants de clubs, les institutions ont aussi une grande part de responsabilité: “Ce qui est étonnant, c’est que la masse salariale globale a augmenté en Italie sur la période 2020-2021 (…) les clubs subissent des problèmes de mauvaises gestions avec des dirigeants qui ont une vision sur le court terme” argumente Valentin Pauluzzi.
Quelles sont les solutions pour relancer le football italien? Après le fiasco de l’Italie et cette élimination face à la Macédoine du Nord, Gabriele Gravina est prêt à opérer une mini-révolution. En effet, le président de la FIGC (fédération italienne de football) vise à mettre en place un programme d’un an concernant de nombreux points notamment le format des championnats professionnels et semi-professionnels, la stabilité économique du Calcio ou encore un projet technico-sportif qui part des infrastructures pour ensuite valoriser la formation italienne et ses talents sur le long terme. C’est justement ce point sur lequel le football italien et ses dirigeants devront travailler dans les mois à venir.

En comparaison à ses voisins européens, l’Italie accuse un retard conséquent au niveau de la formation et sur la confiance accordée à ses jeunes talents. Les onze titulaires des équipes de Serie A sont très peu fournis de joueurs italiens et encore moins formés au club. Lorsque l’on jette un œil sur le top 4 de Serie A (AC Milan, Inter Milan, Napoli, Juventus), on remarque que moins de 25% des titulaires sont italiens. Une preuve que les dirigeants italiens n’accordent peu de confiance au vivier national et préfère investir sur des joueurs étrangers, qui intègrent même directement les équipes de jeunes. C’est le cas de Dusan Vlahovic, recruté 1,9M€ par la Fiorentina en 2018.
Les grosses écuries italiennes ont une vision sur le court terme et n’accordent pas une grande confiance en leurs jeunes talents. Ces derniers ne sont pas intégrés dans les projets et sont contraints de quitter leur club formateur et de rejoindre des équipes de seconde zone. L’exemple le plus criant est Manuel Locatelli. Non conservé par l’AC Milan, son club formateur, le jeune milieu italien prend la direction de Sassuolo en 2018. Sous les ordres de Roberto De Zerbi, Locatelli va exploser et s’imposer comme une référence à son poste en Serie A.
Ce lundi, l’observatoire CIES a publié des données concernant l’utilisation des joueurs de moins de 21 ans dans les différents championnats nationaux. Et l’Italie s’affiche sans surprise comme le mauvais élève. En prenant en considération le temps de jeu de ces jeunes joueurs au sein de leur ligue, la CIES a démontré qu’en Serie A, les jeunes joueurs U21 ont disputé moins de 3,9% du temps total. En comparaison, la Ligue 1 affiche un total de 9,1% contre 4,4% pour la Premier League et 4,2% pour la Liga. Une donnée qui prouve une nouvelle fois le manque de confiance des clubs envers leurs jeunes joueurs. Pourtant, le talent existe bel et bien. Il faut désormais le polir, lui faire confiance et lui donner du temps pour progresser. Un projet loin d’être impossible, mais c’est aux dirigeants Italiens de prendre les choses en main pour remettre le Calcio à sa véritable place.