Octobre 2007, coup de tonnerre au Paris Saint-Germain. Anesthésié par un début de championnat quelconque, Paul le Guen décide réveiller le club en lançant cinq jeunes joueurs dans le grand bain. Dix ans après, tous se sont effacés du paysage parisien, et même pour la plupart du football professionnel de haut niveau.
“C’est abuser”
En se réveillant ce matin du dimanche 21 octobre 2007, Mamadou Sakho expérimente les limites de son téléphone portable. Des appels et des messages incessants depuis la veille, qui continuent régulièrement à alimenter son appareil toute la journée. “C’est abuser ! Tu te rends pas compte. Mamadou : ca-pi-taine chez les pros !” Le SMS est signé Henri Saivet. La veille, Mamadou Sakho, 17 ans et 8 mois, était titulaire en Ligue 1. Pas mal. Mais son bras gauche était plus lourd que son bras droit, lesté de quelques centaines de grammes par un petit bout de tissu. Capitaine du Paris-Saint-Germain avec sous ses ordres des mecs comme Landreau, Yepes ou Zoumana Camara. A ses côtés, ses potes du centre de formation, eux aussi, tous titulaires : Younousse Sankharé (18 ans), David N’Gog (18 ans), Granddi NGoyi (19 ans) et Loris Arnaud (20 ans). Sur le banc ? Pauleta, Frau, Bernard Mendy, Pegguy Luyindula. Mais quelle mouche a bien pu piquer Paul le Guen, entraîneur peu voire pas coutumier du fait ?

Au début de l’automne, le Paris Saint-Germain se morfond à la 13ème place et sort de deux mauvais résultats de suite (défaites face à Bordeaux et Rennes). “Paul le Guen devait vraiment être désespéré pour faire ça” rembobine Alain Cayzac, président de l’époque. Aucun des 15 037 spectacteurs qui s’apprêtent à recevoir le PSG n’a la moindre idée de ce qui se trame dans les entrailles du stade Nungesser de Valenciennes. Et étonnement, les joueurs non plus. “On était pas du tout au courant qu’on allait jouer” se remémore Loris Arnaud. Du côté des anciens, la pilule ne passe pas du tout, notamment pour Jérôme Alonzo “On se doutait qu’il y aurait des changements, mais pas comme ça”. Rothen est plus amer, la langue moins pendue “Que vous fassiez jouer des jeunes, d’accord, mais nomme Sakho capitaine à 17 ans c’est humiliant pour nous” avait-il confié à Alain Cayzac. Le PSG et Valenciennes se séparent sur un 0-0 sans saveur, qui marque l’entrée dans un nouveau monde pour cinq garçons qui n’étaient absolument pas prêts.
Valence, c’est pas Valenciennes
Si la titularisation d’un jeune joueur, qui flirte avec la majorité, en Ligue 1 est toujours un événement, le coup de force de Paul le Guen a fait l’effet d’une bombe, qui finira par ricocher sur lui, le club, les anciens et forcément les cinq jeunes. Les réactions sont partagées. “C’est franchement choquant” s’insurge François Blaquart, alors sélectionneur de l’équipe de France U17. De son côté le responsable du centre de formation francilien est plutôt à l’aise “Ça nous avait permis de mettre en vitrine la formation de notre club. De prouver qu’elle existait. Les cinq ont été exposés et c’est tant mieux. Ils s’entraînent depuis quelques temps déjà avec les pros. Si Paul les a alignés, c’est qu’ils avaient le niveau.”

Le niveau, tout le monde a pensé qu’ils l’avaient. Quelques semaines plus tôt, lors de l’Emirates Cup, les cinq mêmes étaient titulaires pour jouer contre Valence. Ils avaient fait danser les espagnols pour leur claquer un 3-0 en pleine face. Cayzac tout fier se souvient “Arsène Wenger avait assisté à la rencontre depuis le bord du terrain. Il était venu me voir, il m’avait dit : “T’as pas de problème de recrutement toi ! T’as une génération magnifique !” Ils avaient tous fait un tabac”. Sauf que Valence n’avait qu’une semaine de préparation dans les jambes, Paris un mois et demi. Du coup, du côté de Paul le Guen et du board on s’enflamme et on vise une place dans le top 3. (Le Paris Saint-Germain terminera 16ème). Mais à Valenciennes, personne ne se distingue. Pire encore, les anciens le prennent mal et Paul le Guen se retrouve avec un effectif ouvert en deux. Au lieu d’accompagner les jeunes, les joueurs expérimentés leur tournent le dos. Au lieu de travailler ensemble, ils sont opposés. Et Paris s’enfonce.
De talentueux immatures
Bloqué en queue de peloton, le Paris Saint-Germain ne perd néanmoins pas sa notoriété. Et l’histoire des cinq jeunes trouve écho hors des frontières françaises. A nouveau titularisés ensemble une semaine plus tard contre Lyon, ils sont scrutés par de nombreuses paires de yeux. Le public, les journalistes et surtout les scouts venus d’Europe entière. Alain Cayzac se souvient “Les agents de Loris Arnaud étaient venus me voir pour me dire que le Real Madrid voulait le voir“. Vrai ou faux ? On ne le saura jamais. Ce qui est sûr en revanche, c’est que c’est le début des problèmes. Trop vite exposés, trop tôt, pas assez (en)cadrés, les jeunes plafonnent et explosent un à un. Et c’est ce qu’avance Jean-Luc Vasseur, ancien entraîneur au centre de formation du PSG “A 17, 18 ou 19 ans, ils étaient déjà considérés comme des professionnels. Mais étaient-ils armés mentalement ? Si les jeunes ne sont pas d’une très grande maturité, ils peuvent complètement passer à travers”. Ou déraper, sur et en dehors du rectangle vert.
Sankharé est placé en garde à vue pour s’être rebellé lors d’un contrôle. Tous ont le droit à de nombreux recadrages à l’entraînement. Ngoyi et Sankharé se chauffent avec un ancien dans les vestiaires. Les horaires ne sont pas toujours respectées. Et en plus, Paris se distingue par des recrutements totalement ratés. Everton et Souza débarquent en grandes pompes. “Ils n’avaient même pas le niveau CFA ! On avait des jeunes talentueux et on fait venir ces deux-là !” se souvient Jérôme Alonzo.
Du Real Madrid à l’Indonésie
A l’exception de Mamadou Sakho, dans un premier temps, tous prennent la décision de partir s’épanouir ailleurs. Dans des équipes plus calmes, des divisions moins exposées. Sankharé, Ngoyi ou Arnaud enchaînent les prêts dans les clubs provinciaux et en Ligue 2. Le PSG ne suit même pas leur évolution, ou du moins leur passages dans ces clubs. L’accompagnement est proche du néant et finalement la génération annoncée dorée se retrouve perdue. N’Gog tente l’aventure à Liverpool, puis à Bolton, puis à Swansea, puis en Grèce, puis en Ecosse… Exemple d’une graine de talent gâchée, qui était pourtant calibrée depuis toujours pour exploser au haut niveau.

Plus d’une décennie plus tard, Younousse Sankharé a mis un peu de temps, mais s’est affirmé comme un solide joueur de Ligue 1 à Valenciennes, Guingamp puis aujourd’hui Bordeaux. Le capitaine d’un soir Mamadou Sakho est allé tenter sa chance à Liverpool en 2013, il joue aujourd’hui à Crystal Palace en Premier League et compte 28 sélections chez les Bleus. N’Gog tape le ballon à Chypre, Arnaud en Indonésie et Ngoyi en DH. Loin de Nungesser, mais surtout loin du Real Madrid.
Bio express
Mamadou Sakho, 28 ans – Crystal Palace (Premier League)
Passé par Liverpool
Younousse Sankharé, 28 ans – Bordeaux (L1)
Passé par Reims, Dijon, Valenciennes, Guingamp, Lille
Loris Arnaud, 31 ans – Persela (D1 Indonésie)
Passé par Clermont, Angers, Burgas (Bulgarie), Orléans, Ha Noi (Vietnam)
Granddi Ngoyi, 30 ans – Moissy-Cramayel (Régional 1, ex-DH)
Passé par Clermont, Brest, Nantes, Troyes, Palerme, Leeds, Dijon
David N’Gog, 29 ans – Pafos (D1 Chypre)
Passé par Liverpool, Bolton, Swansea, Reims, Panionios (Grèce), Ross County (Ecosse)