Un nouveau stade, la Ligue 2, la Ligue 1, les japonnais, Sofiane Feghouli, une demie de Coupe de France et puis les défaites, les départs, le dépôt de bilan, le CFA 2, les matchs avec 3 gardiens, la galère, les désillusions… et enfin, la délivrance. Retour sur la décennie du Grenoble Foot 38, l’une des plus vertigineuses du football français.
Un gardien aligné en attaque
Corte, plein cœur de la Corse, sous la chaleur étouffante de ce mois d’août 2011 se joue la première journée du CFA 2 version 2011/2012. Ce qui devait être qu’un banal match amateur de cinquième division française est en réalité une véritable curiosité. Le Grenoble Foot 38 qui évoluait encore sous les feux de la Ligue 1 un an et demi auparavant attaque sa nouvelle vie par ce déplacement compliqué sur l’Île de Beauté. Étouffés financièrement, aux portes d’être rayés de la carte du football hexagonal, les grenoblois repartent miraculeusement jouer au ballon après un été catastrophe.

Durant le flou estival, les joueurs sous contrat professionnel ne se sont pas attardés dans la capitale des Alpes, plus d’une trentaine de départs sont à déplorer. Les expérimentés Pascal Johansen, Pancho Abardonado, David Jemmali, Laurent Courtois ou Nicolas Dieuze quittent le navire grenoblois, mais ce qui fait le plus mal ce sont les fleurons de la formation grenobloise qui partent libres comme l’air : Florian Thauvin, Saphir Taïder, Atila Turan, Jonathan Tinhan ou Joseph Mendes pour ne citer qu’eux.
Prévenu seulement deux semaines avant ce match qu’ils reprenaient bien en CFA 2 et non en Division d’Honneur, le staff isérois, n’a eu le temps de rassembler que 12 joueurs, quelques anciens de la région et des jeunes du centre qui n’ont pas trouvé preneur, afin de se rendre en Corse. “On y est allé à douze joueurs dont trois gardiens. Il y en avait donc un qui était joueur de champ pour ce match, c’est vous dire…” se remémore alors le coach de l’époque, Olivier Saragaglia qui joue les pompiers de service après avoir passé près de 10 ans à la formation. A 12 contre tous, le GF 38 crée l’exploit et va chercher la victoire (0-2). La première ligne d’un récit à rebondissements, dont l’issue programmée est de retrouver le professionnalisme au plus vite.
Des Alpes aux montagnes russes
Pourtant avant d’être 12, les Grenoblois étaient des milliers. Le 12 mai 2008, ils étaient d’ailleurs exactement 19 247 à envahir la pelouse toute neuve du Stade des Alpes, inauguré quelques mois plus tôt, pour fêter la montée surprise en Ligue 1 de leurs protégés.

La saison dans l’élite (2008/2009) est une véritable réussite pour le GF38 : le club termine l’exercice à la 13ème place, se permet quelques coups d’éclats comme cette victoire au Parc des Princes, lors de la septième journée, avec un but sublime de Nassim Akrour. En parallèle l’aventure en Coupe de France emmène les hommes de Mecha Bazdarevic jusqu’en demies-finales et une défaite face à Rennes qui restera longtemps en travers de la gorge des supporters bleus et blancs, n’en déplaise à un certain Hervé Piccirillo. Pour sa deuxième saison dans l’élite, le GF38 attaque très fort et efface des tablettes un record appartenant à Manchester United depuis la saison 1930-31… le nombre de défaites consécutives en ouverture de championnat avec 12 revers. Une saison en enfer qui verra les isérois terminer logiquement bons derniers de Ligue 1. La saison suivante est pire, puisque c’est à la même place, soit derniers, que le Grenoble Foot 38 écume la Ligue 2 pour son ultime saison en pro. Côté bureaux, la situation est tout aussi catastrophique : les japonais d’Index Corporation n’assument plus la gestion d’un club de football professionnel européen et laissent les finances se creuser inexorablement pour terminer dans un mur nommé “dépôt de bilan”. De l’embellie à la tragique déroute, de la Ligue 1 à la pelouse de Corte.
CFA 2 : passage éclair
«L’association se portait bien donc on a pu reprendre le club et lui éviter une descente en division d’honneur. Mais pour ça, il a fallu se battre et convaincre la DNCG nationale et locale», se souvient Alain Fessler, historique du club qui reprend en main la présidence à l’époque. Côté sportif, c’est également un ancien de la Poterne qui s’attelle à construire difficilement un effectif. Olivier Saragaglia, formé au GF38 et auteur de neuf saisons avec le maillot bleu et blanc “Après le dépôt de bilan, je pars avec Chambéry, engagé en CFA. Le GF38 devait, lui, repartir en DH. Et finalement, au cours de la préparation, j’apprends que mon nouveau club est rétrogradé un niveau en dessous par la DNCG quand le GF38 est lui repêché en CFA2. Je suis revenu ici et il me restait que quinze jours pour faire un groupe compétitif, sans faire n’importe quoi.” Pari réussi : en mai 2012, Grenoble termine premier de son groupe et (re)monte en CFA. On se dit alors que tout va aller très vite et on imagine aisément que les Alpins vont goûter à nouveau au gâteau professionnel. Il faudra attendre 6 saisons de plus.
Galères Foot 38
En quatrième division, le club prend le temps de se restructurer et se veut malgré tout ambitieux avec un effectif dans lequel plusieurs joueurs ont déjà tâté le monde pro, comme Cianci, Delétraz, Descamps ou Baudet. “On regarde loin et si on a la chance de monter dès cette année, il ne nous manquera pas grand-chose par rapport aux gros des équipes de ce niveau” avance Saragaglia. Et pourtant le GF38 va galérer. Cinq saisons bloqué en CFA. Les joueurs passent et Jean-Louis Garcia succède à Saragaglia, mais rien n’y fait, Grenoble échoue toujours d’un souffle dans sa course au National (deux fois 3ème, puis deux fois 2ème).

En parallèle, il y a la question embarrassante du Stade des Alpes. L’écrin grenoblois qui sent encore bon le neuf accueille le FC Grenoble Rugby, alors résident du Top 14. Un voisin un peu encombrant qui contraint parfois les footballeurs à se délocaliser. «Le rugby était prioritaire mais on a essayé de collaborer au mieux avec l’aide des collectivités locales», rappelle Alain Fessler. Un mauvais passage pour les suiveurs du club, qui sont restés présents malgré le dépôt de bilan. «C’était une galère pour nous : il fallait à chaque fois se déplacer dans une nouvelle commune, de Chambéry à Sassenage», se souvient Enzo, supporter assidu du club.
Ensemble gagnons les sommets
“J’avais des sollicitations : je venais de valider mon BEPF. Le projet de Grenoble s’est présenté et j’ai foncé. Parce que c’était Grenoble, parce que le cadre du club me faisait penser qu’il y avait quelque chose de grand à construire ici.” En ces mots, Olivier Guégan, annonce pourquoi un coach qui vient de quitter la Ligue 1 choisit de venir prendre en main le destin d’une écurie de 4ème division française. Après s’être fait remercié par le Stade de Reims, l’ancien joueur d’Angers et de Brest arrive investi d’une mission : remettre Grenoble dans les quarante premiers clubs français. Traduction : retrouver le professionnalisme au plus vite.

Le 13 mai 2017, six ans jour pour jour après le début de la descente aux enfers, Grenoble est promu en National. Et le 27 mai 2018, après une victoire 2-1 au match aller, le GF va chercher un match nul 0-0 sur la pelouse de Bourg-en-Bresse pour le compte du barrage de relégation/promotion en Ligue 2 pour valider son retour dans ces fameux quarante premiers clubs français. Ultimes rebondissements : une défaite face à Sannois-Saint-Gratien pour le dernier match de National où il suffisait d’un point pour officialiser la montée, puis le génie de quelques imbéciles qui n’avaient rien trouvé de mieux que d’envahir la pelouse du Stade des Alpes avec des fumigènes et l’idée d’en découvre avec les joueurs de Saint-Gratien. Premier club français racheté par des investisseurs japonais, le Grenoble Foot 38 est de retour dans le professionnalisme, huit saisons après l’avoir brutalement quitté. Encore touché par des soubresauts, avec le départ forcé du héros Guégan suite à des désaccords avec la direction, Grenoble veut maintenant s’acheter une tranquillité. Toujours avec trois gardiens, mais loin, très loin de Corte.