Depuis la saison dernière, les deux géants milanais sont de retour au premier plan en Italie. Après une décennie ponctuée par une descente aux enfers aussi bien sur le plan sportif qu’économique, Rossoneri et Nerazzurri retrouvent de leur superbe. Grace à un travail fantastique de la direction, du staff et des joueurs, l’AC Milan et l’Inter Milan ont retrouvé leurs lettres de noblesse comme en témoigne cette lutte acharnée pour le Scudetto.
–LONG FORMAT–
Dimanche 19 avril 2015, dans un San Siro qui sonne creux, l’AC Milan et l’Inter Milan disputent un derby sans enjeu et sans saveur. Les deux clubs, largués en championnat, réalisent une effroyable saison. Comme un symbole, le match se ponctuera sur un triste 0-0 et qui illustre de la meilleure des manières le déclin des deux écuries milanaises depuis quelques saisons. Preuve en est, à l’issue de cet exercice 2014-2015, l’Inter Milan terminera 8e de Serie A, l’AC Milan 10e. Alors que les Nerazzurri étaient sur le toit de l’Europe quelques années auparavant avec le fameux Triplete de 2010 et que les Rossoneri avaient remporté le Scudetto en 2011, cette décennie 2010 va être synonyme de profonde crise sportive. L’AC Milan ne va plus disputer la Ligue des Champions pendant sept ans (de 2014 à 2021), autant d’années d’absence pour l’Inter Milan (de 2012 à 2019). Deux monuments sont en péril.
Pour bien comprendre cette descente aux enfers, il faut revenir au début du millénaire. Les deux cousins milanais sont alors sur le toit du football italien et européen en raflant des trophées nationaux et continentaux. En l’espace de dix ans, l’AC Milan remporte deux Ligues des Champions (2003 et 2007), deux Scudetti (2004 et 2011) et une Coppa Italia (2003). L’Inter Milan est sur la même lignée avec une Ligue des Champions (2010), cinq Scudetti (2007, 2008, 2009 et 2010) et quatre Coppa Italia (2005, 2006, 2010 et 2011).
Une ribambelle de trophées remportés par les deux géants Lombards grâce à une génération de joueurs exceptionnels: Inzaghi, Kakà, Pirlo, Maldini, Seedorf côté rossonero et les Zanetti, Cambiasso, Lucio, Walter Samuel, Julio Cesar côté nerazzurro. Mais naturellement, ces joueurs vont prendre de l’âge et vont donc peu à peu régresser et ne plus répondre aux exigences du top niveau. Des légendes qui ont fait la gloire de ces deux clubs mais qui vont, pour la plupart, raccrocher les crampons. D’autres, nourriront de nouvelles ambitions comme Ricardo Kakà qui rejoindra le Real Madrid en 2009.
Une crise sportive et économique
Le 22 mai 2010, l’Inter Milan est sur le toit de l’Europe en venant de remporter la troisième Coupe aux grandes oreilles de son histoire. Dans la foulée, José Mourinho annonce son départ de Lombardie. Auteur d’un formidable travail durant deux saisons, le tacticien portugais va alors laisser un grand vide au sein de la maison noir et bleu. L’après-Mourinho scelle le début d’un long cauchemar pour les tifosi Nerazzurri. En quatre ans vont se succéder six entraîneurs, preuve de la crise sportive et l’instabilité du club.
Le cousin Rossonero ne va pas tarder à connaître le même cauchemar, même si celui-ci remporte le Scudetto à l’issue de l’exercice 2010-2011. Un titre qui scelle la fin d’une époque glorieuse et le début d’un cauchemar. L’AC Milan devient moins attractif et voit ses légendes raccrocher les crampons comme Pippo Inzaghi, une dernière danse à San Siro très émouvante. Mais surtout, le club lombard se voit contraint de se séparer de ses meilleurs éléments. Lors du mercato estival 2012, la direction rouge et noire décide de vendre Thiago Silva et Zlatan Ibrahimovic au Paris-Saint-Germain pour moins de 65 millions d’euros. Avec un effectif de plus en plus limité, Massimiliano Allegri parvient tout de même à arracher une 3e place lors de la saison 2012-2013 ainsi qu’un 1/8e de finale de Champions League en 2013 et en 2014. Mais en janvier 2014, à la suite de résultats en dents de scie, le tacticien italien est contraint de quitter le Milan. L’ultime pilier de la fondation se retire, la maison s’écroule.
Alors que l’Europe connaît une profonde crise économique en 2008, l’Italie va être l’un des pays les plus touchés. Et les hommes d’affaires transalpins voir leurs finances se fragiliser. Cela va être le cas des deux présidents milanais Silvio Berlusconi et Massimo Moratti. Ces derniers n’auront plus la puissance financière d’antan et ne vont plus autant investir dans leurs joyaux respectifs. Après des dizaines d’années de règne et de gloires, les deux hommes d’affaires italiens vont être contraints de vendre les deux monuments milanais.
En novembre 2013, Massimo Moratti cède 70% des parts du club à Erick Thohir. Un homme d’affaires indonésien qui va dans un premier temps parvenir à pérenniser les revenus financiers en misant sur le marketing notamment en Asie, ponctué à la hausse des revenus des droits TV. Mais sur plan sportif, Erick Tohir ne va pas parvenir à relancer le club. Seulement trois ans plus tard, il cède ses 70% à Suning qui devient alors l’actionnaire majoritaire de l’Inter Milan. Sous la houlette de Jingong Zhang, l’Inter Milan va rapidement se relancer économiquement avec une augmentation du capital de près de 142M€ dès leur arrivée à la tête du club.

Du côté de Milan, c’est en avril 2017 que Silvio Berlusconi, après de longs mois de négociations, décide de vendre « son amour de toujours » comme il aime si bien le dire à Yonghong Li. Cette homme d’affaire chinois rachète 99,3% des parts du clubs. Un rachat qui laisse perplexe de nombreux spécialistes financiers. Le New York Times remet en cause la véritable capacité financière de Yonghong Li. Ce dernier va contracter un prêt de 300 millions d’euros à la société Elliott Management pour finaliser les derniers paiements de rachat du club milanais. Mais l’homme d’affaires chinois serait incapable de rembourser cet emprunt, et sera contraint de vendre le Milan deux ans plus tard à Elliott Management.
Mi-juillet 2018 Elliott Management reprend le club rossonero pour le début d’une nouvelle ère. Elliott Management à l’AC Milan, Suning chez l’Inter, les deux clubs disposent désormais d’une direction viable économiquement et qui nourrit de belles ambitions.
Nouvelles directions, nouvelles ambitions
Pour relancer l’Inter Milan, Suning a conscience de l’importance de mettre à des postes clés des hommes de confiance qui connaissent parfaitement ce club, son environnement. Les dirigeants chinois choisissent de miser sur la légende du club, Javier Zanetti. L’emblématique numéro 4 sera ensuite épaulé par Giuseppe Marotta, qui quittera la Juve pour l’Inter en décembre 2018. Une direction composée de trois hommes compétents avec chacun son domaine de prédilection: Zanetti sur le tableau sportif, Zhang sur le tableau économique avec Marotta qui arrive à faire le pont entre les deux. Le club recrute intelligemment comme en témoignent les arrivées de Lautaro Martinez, Nicolo Barella, Ivan Perisic ou plus dernièrement Hakan Calhanoglu. Des joueurs qui se sont tout de suite imposés sous la tunique noire et bleue. Une direction qui travaille bien et qui obtient de bons résultats. L’Inter Milan termine systématiquement dans le top 4 depuis 2018. Cerise sur le gâteau, elle remportera le Scudetto la saison dernière ou encore se hissera en finale de Ligue Europa l’année précédente.
Trajectoire presque similaire pour l’AC Milan. Avec Elliott Management, le club est sous la houlette d’un fond d’investissement. Ce dernier a pour objectif de relancer une entreprise ou ici un club au niveau économique. Et cela passe, dans le football, par le domaine sportif. Scaroni, nouveau propriétaire du club, va s’entourer d’homme de confiance: Ivan Gazidis prend la direction du club, Paolo Maldini la place de directeur sportif aux côtés de Frederic Massara (qui a rejoint le club en mars 2020 en remplaçant Boban) et Geoffrey Moncada, qui est le chef de la cellule de recrutement. L’objectif de cette nouvelle direction est simple donc, relancer le club au niveau économique et surtout au niveau sportif.

Une politique de scouting va alors être mise en place qui consiste à acheter des (jeunes) joueurs à fort potentiel pour les faire exploser à Milan. L’objectif sur le long therme est de les revendre deux à trois fois plus chers. Sous la houlette de Paolo Maldini et surtout de Geoffrey Moncada, la cellule de recrutement parvient à miser sur les bons chevaux de course : Rafael Leao, Ismaël Bennacer, Pierre Kalulu, Theo Hernandez, Fiyako Tomori. Des joueurs qui ont tout simplement explosé depuis leur arrivée en Lombardie. Le meilleur exemple est Pierre Kalulu. Formé à Lyon, le jeune défenseur arrive à Milanello sans jamais avoir disputé un match avec l’équipe première Lyonnaise. Kalulu va d’abord s’aguerrir avec la Primavera puis connaître une impressionnante progression. Deux ans après son arrivée, il s’est imposé comme un titulaire au sein de cette défense.
Geoffrey Moncada expliquait au micro de Podcast Prolongation comment ont-ils mis la jeunesse au centre du projet rossonero: « Nous ne prenons pas un jeune joueur seulement parce qu’il est jeune, mais si on estime qu’il correspond aux exigences de l’équipe. En le recrutant, on ne veut pas qu’il joue quelques minutes mais bien qu’il s’impose comme un titulaire (…) nous avons donc travaillé sur l’identité nouvelle du Milan, avec un projet désormais tourné vers la jeunesse. Cela a pris un certain temps mais aujourd’hui le travail paye et beaucoup d’agents viennent vers nous pour nous envoyer leurs jeunes joueurs ». Au total, le onze titulaire Milanais a « seulement couté » 240 millions d’euros. À titre de comparaison, celui de l’Inter Milan a couté près 340 millions d’euros.
L’importance d’un Mister
Les deux clubs milanais ont mis au cœur de leur projet de véritables tacticiens en coordination avec les ambitions affichées. En 2017, les Interistes misent sur Luciano Spalletti qui va permettre à l’équipe de retrouver la Ligue des Champions. Un travail remarquable que va confirmer Antonio Conte. Le tacticien italien va faire franchir un cap à cette équipe surtout au niveau de l’intensité. L’Inter Milan de Conte va alors être un rouleau compresseur en Italie, impressionnante de sérénité et qui va logiquement être sacrée championne d’Italie en 2021. Cette saison, les dirigeants Nerazzurri ont misé sur Simone Inzaghi. Auteur d’un travail remarquable à la Lazio, l’entraineur de 46 ans avait comme lourde tâche de faire aussi bien voire mieux que son prédécesseur. Pas évident, mais Inzaghi réalise une saison fantastique. Une transition naturelle entre deux entraîneurs qui développent une philosophie de jeu similaire sur certains points. Javier Zanetti l’expliquait si bien: « Simone Inzaghi poursuit le travail réalisé par Conte, mais en apportant ses nouvelles idées. Les garçons ne sont pas dépaysés et parviennent à comprendre sa philosophie, ils le suivent et ça se voit sur le terrain ».
En décembre 2017, le Milan se sépare de Vincenzo Montella et décide de faire appel à une ancienne gloire de la maison: Gennaro Gattuso. L’ancien numéro 8 milanais va permettre à cette équipe de retrouver un certain amour propre. Avec des idées qui restent assez limitées tactiquement, Il Rino va miser sur l’aspect mental et va inculquer une notion de combativité à cette équipe. Sans être flamboyant, le Milan retrouve son identité et va même obtenir des résultats encourageants: 1/8 de finale de Ligue Europa et une finale de Coppa Italia en 2018, suivi d’une honorable 5e place à l’issue de l’exercice 2018-2019. Alors que Marco Giampaolo débute sur le banc rossonero lors du début de la saison suivante, la direction milanaise va étonnamment décider de s’en séparer dès le mois d’octobre. Un choix surprenant surtout après une victoire obtenue sur la pelouse du Genoa.
L’AC Milan décide de nommer Stefano Pioli. Si les débuts sont laborieux, l’ancien entraineur de la Fiorentina va peu à peu mettre ses idées et sa philosophie de jeu en place. Entourés de cadres comme Ibrahimovic et Kjaer (recrutés à l’hiver 2020), Pioli va bâtir une équipe composée de jeunes joueurs talentueux qui seront épaulés par des joueurs d’expérience. La magie va alors opérer. Après une longue trêve de plus de trois mois de mars à juin 2020 en raison de la pandémie, les Rossoneri retrouvent les terrains et se montrent métamorphosés. Ce Milan de Stefano Pioli propose un football offensif, basé sur l’intensité et la recherche perpétuelle de verticalité.
Une bataille fratricide sous les yeux de la Madonnina: les forces et faiblesses des deux Milan
L’exercice 2020-2021 était une mise en bouche, mais finalement, c’est l’Inter Milan qui sera logiquement sacrée championne d’Italie. Mais cette saison, la bataille est impitoyable entre les deux cousins milanais. Sur le terrain d’abord, après des années où les derbys ne procuraient plus de véritable plaisir, la donne a changé depuis deux ans. L’AC Milan et l’Inter Milan se livrent une véritable bataille technique, tactique et physique, pour le plus grand plaisir des amoureux de football.
À trois journées de la fin, seulement deux longueurs séparent les deux équipes : le Milan est leader avec 77 points, l’Inter Milan deuxième avec 75 points. Les Rossoneri font la course en tête depuis dix journées et disposent d’une impressionnante force collective. Souvent dominateurs, les hommes de Stefano Pioli peinent souvent à conclure leurs occasions comme en témoigne l’expected goals qui est de 58,67 contre 80 pour l’Inter Milan. Dominateurs et faisant preuve d’une forte détermination, les Milanais parviennent toujours à l’emporter comme le week-end dernier face à la Fiorentina. Dans un San Siro à guichets fermés, le Milan remportera ce match 1-0, le score préféré des Rossoneri cette saison, avec un but de l’infatigable Rafael Leao à la 82e minute.

Une équipe en manque de réalisme offensivement, mais qui se targue d’avoir une défense très solide. Sur l’année civile 2022, le Milan n’a concédé que neufs buts, seul Liverpool a concédé moins de buts (six buts). Une défense solide marquée par une charnière Kalulu-Tomori d’une grande complémentarité et d’un gardien Mike Maignan qui ne cesse de faire des parades décisives, un milieu qui ne cesse de multiplier les efforts défensifs qu’offensifs à l’image de Bennacer étincelant depuis la deuxième partie de saison, seule l’attaque connait une panne. Si Rafael Leao ne cesse de créer des différences par sa vitesse et sa percussion, la bande à Pioli pêche dans le dernier geste. Une équipe fougueuse en pleine forme, l’AC Milan ne devra pas manquer ces trois derniers matches face à de belles équipes, mais qui n’ont pratiquement plus rien à jouer: l’Hellas Verona, l’Atalanta et Sassuolo.
Le 27 avril dernier, l’Inter s’inclinait sur la pelouse de Bologna (2-1) en match en retard. Une défaite concédée dans les dernières minutes avec une grossière erreur du gardien remplaçant Radu. Les Nerazzurri rataient alors l’occasion de reprendre la tête de la Serie A. Une occasion manquée, mais l’actuelle meilleure défense du championnat ne lâchera pas. Si l’AC Milan fait parler sa jeunesse et sa fougue, l’Inter mise elle sur la maîtrise des événements et son pragmatisme. Cette saison, les hommes de Simone Inzaghi sont beaucoup plus expérimentés avec des joueurs en pleine force de l’âge : Skriniar, Brozovic, Calhanoglu, De Vrij ou encore Barella. De plus, l’Inter peut compter sur son sérial buteur Lautaro Martinez. Après une longue période de disette de deux mois où il ne marquait plus, l’attaquant argentin retrouve ses meilleures sensations. Martinez a inscrit 21 buts cette saison, son total le plus élevé depuis son arrivée en 2018.

Mais l’élément clé de cette équipe, le véritable patron se nomme Marcelo Brozovic. Le milieu croate est au sommet de son art et n’a cessé d’enchaîner les performances XXL, s’imposant comme le patron du milieu et plus généralement de l’équipe. C’est simple, le finaliste de la dernière Coupe du Monde a manqué trois matches cette saison. Trois matches où l’Inter a été incapable de gagner avec deux nuls face à la Fiorentina et au Torino, et une défaite contre Sassuolo. Solide défensivement, capable aussi bien de pratiquer un football de possession que de procéder en contre-attaque, l’Inter de Simone Inzaghi a très souvent fait la différence sur ses adversaires au niveau tactique cette saison. En espérant un faux pas de l’AC Milan, l’Inter a un calendrier plutôt favorable avec des équipes de bas de tableau: Empoli, Cagliari et Sampdoria. Si Empoli et la Samp sont (pratiquement) sauvés, le déplacement en Sardaigne pour y affronter Cagliari a cependant tout d’un match piège.